Apprenti boulanger à Carentan, domicilié à Méautis, 15 ans en 1944
Le matin du 06 juin 1944 j’étais apprenti boulanger chez Monsieur Abbel à Carentan, rue Holgate. Nous avions entendu la nuit de très forts bombardements vers la voie ferrée. Nous voyions les civils « prendre la direction de la campagne » car il y avait déjà des blessés graves et des morts. Mon patron m’a demandé de partir car nous ne pouvions plus faire de pain et cela commençait à devenir dangereux. J’ai donc pris ma bicyclette pour retourner à Méautis chez mes parents qui étaient eux-mêmes boulangers.
Lorsque je suis passé devant la gare de Carentan j’ai aperçu des wagons retournés, des trous de bombes, tout avait été fortement bombardé dans la nuit ! J’ai continué en remontant la rue Holgate puis j’ai pris en direction d’Auvers. En arrivant à la limite des hameaux de Donville et de Corbeauville j’ai tout de suite aperçu des parachutes de couleurs qui été restés accrochés dans les arbres. Je ne savais pas qu’il s’agissait de parachutes, de matériels de guerre qui avaient été largués avec les parachutistes américains. Je suis arrivé à Méautis sans encombre dans le bourg où vivaient mes parents en face la mairie. Je suis resté environ 15 jours là-bas avant de partir en exode à la ferme de la Mare des Pierres proche du hameau de Donville.
Nous sommes arrivés après la bataille de Donville qui était tenue par les Américains, c’est-à-dire vers le 16 juin. Ces derniers nous avaient demandé de quitter les lieux car ils pensaient que les Allemands allaient revenir dans le bourg de Méautis. Nous avons traversé à travers champs pour éviter de prendre les routes réputées très dangereuses. Nous étions 30 personnes dans cette ferme.
J’y suis resté environ 15 jours mais je suis allé travailler de temps en temps à Carentan lorsqu’il y avait de la farine qui arrivait. La boulangerie n’avait pas été détruite sauf l’arrière. Mon patron s’était réfugié à la Billonerie dans une ferme de Carentan dans lequel il y avait un four et une boulangerie. Il faisait du pain pour tous les réfugiés…
Quand j’étais encore au bourg de Méautis avant le 15 juin 1944, mon frère Francis, Léon Lehaye et Monsieur Arsène Quinette notre instituteur nous sommes partis voir si nous pouvions apercevoir des parachutes dans les arbres vers la chesnée. Lorsque nous sommes entrés dans un champ bloqué par un container, des parachutistes américains sont sortis des haies et nous ont visés avec des mitraillettes. Nous avons levé les mains en l’air mais ils se sont aperçus que nous étions des civils et surtout des gosses. L’un a sorti une carte pour demander où ils se trouvaient. Ils souhaitaient aller vers Saint- Côme-du-Mont. Ils voulaient traverser le marais ce qui était impossible car le marais était blanc et il y avait des Allemands partout. Nous sommes partis mais nous ne les avons jamais revus. Je pense que certains se cachaient dans les fermes autour car les Allemands faisaient des patrouilles pour les trouver. Nous avons vu un jour Monsieur Renault emmené par deux Allemands mitraillettes derrière son dos dans son habitation pour voir s’ils ne trouvaient des parachutistes américains ou du matériel. Heureusement pour lui la maison était vide mais il a eu très peur ! Les Allemands mettaient souvent le feu aux maisons pour faire sortir les soldats américains. Par la suite les Américains firent la même chose…
Pendant l’occupation nous avions deux allemands qui occupaient des chambres chez nous. Ils avaient réquisitionné la salle où nous sommes aujourd’hui et lorsqu’il y avait des repas avec des sous officiers ils mangeaient dans cette pièce. Ils faisaient du feu dans la cheminée et ils cassaient du bois à même le sol…
Nous avons revu en 1985 un Allemand qui avait habité le bourg de Méautis et qui connaissait le four à pain de la maison de mes parents. Il voulait revoir ce vieux four à pain qu’il avait connu. Il était très ému de revoir notre maison. Cet Allemand fabriquait des gâteaux qu’il demandait à mon frère de cuire ! Mes parents ont accepté cette réquisition et la cohabitation s’est plutôt bien passée. Ces soldats avaient pour ordre de se comporter correctement avec les femmes mais je sais que certains ont été sanctionnés pour des abus. Ces soldats allemands ont quitté la maison le jour du débarquement.
Les Allemands avaient réquisitionné l’une des écoles de Méautis ce qui faisait que les garçons avaient de l’école le matin et les filles l’après midi. L’autre école servait de cantine aux soldats. Pendant le mois de juin 1944 j’ai aperçu des allemands en uniformes noirs qui étaient des hommes de la panzer division grenadier. Je me souviens d’une journée où un officier est venu faire une revue de troupes à la mairie de Méautis. Ils ont joué de la musique cela nous faisait drôle ! Nous les regardions les mains dans les poches !
Mon père avait fabriqué un abri derrière la maison car les avions ou les obus passaient souvent au-dessus de nos têtes. Lors d’une alerte nous sommes rentrés dans l’abri mais lorsque nous sommes revenus dans la maison, des soldats allemands qui avaient eu moins peur que nous avaient ramassé notre repas et nos petits pois qui cuisaient !
J’ai vu passer pendant la bataille de Donville vers le 13 juin 1944 de nombreux Mongols qui avaient été enrôlés dans l’armée allemande. Ils partaient du bourg de Méautis sur le front vers Donville. Tout le monde s’en méfiait car ils ne savaient plus à quel camp ils appartenaient. Ils étaient souvent ivres et personne ne pouvait prévoir leurs réactions. Je crois que les officiers allemands les faisaient saouler pour les maintenir dans un état d’agressivité. Là, nous avons eu peur !
Je n’ai pas entendu parler de résistance sur la commune de Méautis. C’est sur Carentan que nous en avons entendu parler. Il y avait du marché noir comme partout en France. Les campagnes nourrissaient les villes. Les Allemands achetaient de la viande, des œufs dans les fermes. Certains ont bien gagné leur vie avec ce commerce…Il y avait souvent des réquisitions dans la commune faites au profit des Allemands. Le maire était chargé de faire ce travail, ce qui n’était pas toujours bien compris par les gens.
Pendant la guerre je n’ai pas trop souffert de la faim. Nous étions à la campagne et c’était plus facile. Nous avions des cartes d’alimentation et il fallait faire avec.
Pendant la bataille de Méautis j’ai vu de nombreux blessés ou soldats morts. La maison de Raoul Dujardin a servi d’hôpital provisoire et les Mongols transportaient les blessés dans des charrettes de fortune. J’ai le souvenir d’avoir vu un soldat qui avait eu le pied coupé ! Beaucoup de soldats des deux camps ont perdu la vie dans cette guerre. Des hommes de Méautis ont été réquisitionnés par les Américains pour faire enterrer les bêtes crevées afin de dégager les champs. Ils trouvaient souvent des corps dans les haies. Des années après la guerre il y a eu des recherches pour tenter de retrouver des soldats dont nous savions où ils reposaient. Mais ils n’ont pas tous été retrouvés.
Nous avons souvent découvert des armes et des munitions après la guerre. Il fallait le signaler à la mairie.
Il y a eu des accidents avec les mines : l’un de mes frères et mes deux sœurs étaient partis remettre des vaches dans un champ tout proche d’ici. Les bêtes étaient un peu affolées de retrouver de l’herbe fraîche et elles se sont mises à courir. Deux d’entre elles ont sauté sur des mines ce qui les a tuées. Heureusement mon frère et mes deux sœurs sont sorties indemnes de cette explosion. Mais parent ont fait savoir au propriétaire du champ, Monsieur Delarue, qu’ils ne voulaient plus louer ce champ miné. Il fallait les comprendre !
Un cousin de ma femme, Monsieur Paul Desplanques a un jour voulu faire du foin dans un champ. Il était sur sa charrette lorsqu’une mine a explosé tuant les chevaux et détruisant son matériel. Lui n’a rien eu ! Quelle chance ! Il y a eu aussi l’histoire de Monsieur Caillot qui marchait avec un sac sur son dos et qui a posé le pied sur une mine qui a sauté. Toute l’explosion lui a détruit le sac mais lui, il est sorti indemne. D’autres n’ont pas eu cette chance.
J’ai surtout été en contact avec les Américains à Carquebut au cimetière provisoire qu’ils avaient réalisé. J’y suis resté deux semaines mais je n’ai pas été réquisitionné pour décharger les corps des soldats car j’étais trop jeune. J’avais un ami et nous demandions souvent aux Américains de nous donner des chaussures ou autres choses indispensables, des cigarettes, des biscuits. Ils le faisaient volontiers car ils avaient tant de matériel. C’était incroyable pour nous de voir tout ça ! Un Américain avait trouvé à Carquebut une voiture française abandonnée. Il s’en servait pour faire le tour des champs à pleine vitesse, environ 80 kilomètres à l’heure. Nous montions avec lui, c’était drôle !
J’ai le souvenir également du camp d’aviation de Méautis, proche d’ici. Il y avait des petits bombardiers qui décollaient. C’est de cette façon que nous avons récupéré plein de grillage américain qui est resté sur place.
Pendant une cérémonie à Carentan faite avec les Américains et les civils il y a eu des tirs d’obus allemands sur la place de la république. Des civils ont été tués, dont une fillette et d’autres furent blessés. Une vraie panique. Nous nous sommes réfugiés dans des caves ! Les Allemands tiraient du Hommet d’Arthenay.
J’ai fait un jour une découverte terrible pendant la bataille de Méautis au mois de juin 1944 : c’était le moment où j’étais chez mes parents après mon arrivée de Carentan. Je ne sais plus quel jour exactement. Nous connaissions un commis du boucher d’à côté qui s’appelait, Monsieur Léon Gosselin. Il venait prendre du pain et habitait dans la maison du boucher qui avait fuit. Ses patrons lui avaient donné la clé de la maison et il nous disait que maintenant plus personne ne rentrerait surtout pas les Allemands. En allant chercher du lait j’ai découvert Léon Gosselin accroupi sur lui-même le dos au mur avec trois trous dans la tête. Je suis revenu en courant chez mes parents pour les prévenir de ma découverte. J’avais aperçu une demi- heure avant un groupe de soldats allemands qui discutaient tout proche du carrefour de la maison où a été tué Léon Gosselin. Je n’ai jamais su ce qui s’était passé. A-t-il refusé de leur ouvrir la porte de la maison ? Mon père avec un ami maçon l’a enlevé et mis sur un lit où il logeait dans la maison. Ils ont prévenu l’abbé Lecointe mais ils n’ont pas pu faire d’enterrement vu les circonstances. Il fut inhumé comme tant d’autres civils au cimetière de Donville. Il n’y a pas si longtemps nous pouvions voir les trois impacts de balles qui sont restés dans le mur du garage…
Nous avons pourtant failli y rester lorsqu’un char américain qui est arrivé dans le bourg de Méautis est venu pointer son canon dans notre fenêtre. Mon père est sorti en courant et en criant de ne pas tirer. Les soldats ont aperçu mon père qui faisait des signes et ils ont compris, heureusement !
Nous avons perdu une cousine, Noémie Marie qui a été tuée au hameau du Bas-Bosq à Méautis avec ses deux enfants. Elle est sortie pendant une accalmie et une salve d’obus est venue les tuer tous sur la route. Son mari était encore prisonnier en Allemagne lorsque ce drame est arrivé !
Témoignage suivant : Marie Saint