Habitant de la Chesnée à Méautis, 14 ans en 1944
Le 06 juin 1944 les parachutistes américains étaient descendus derrière la maison. Le matin du 06 juin vers 8 heures j’étais avec un instituteur et quelques camarades de mon âge pour aller chercher notre jument lorsque nous découvrîmes un container avec un parachute qui était tombé dans notre champ juste derrière la barrière ce qui empêchait d’entrer ! Nous avons alors découvert cinq parachutistes américains qui se cachaient dans une mare asséchée proche d’une chasse derrière la chesnée. Mon premier contact a été un sacré choc : je me suis baissé pour regarder une balise laissée par terre lorsque j’ai senti et vu une baïonnette me pointer sur le ventre ! En levant les yeux j’ai aperçu ce grand homme tout bouchonné de noir et j’ai aussitôt levé les bras en l’air.
Le chef du groupe a donné l’ordre de baisser les fusils. Il a ensuite sorti une carte de ses poches et il nous a demandé où il était. En fait ils étaient complètement perdus.
Ils cherchaient en fait à rejoindre la Barquette qu’ils prononçaient parfaitement en Français. L’instituteur, monsieur Quinette, qui avait quelques notions d’Anglais leur a dit où ils étaient et à quel endroit se trouvait la Barquette. Ils lui ont demandé où se trouvaient les Allemands. L’instituteur leur a dit qu’une compagnie se trouvait à Rougeval au château et une autre à Pommenauque à Carentan, ce qui rendait leur passage très difficile. Des copains à moi de la Lande Godard à Méautis en ont aidé certains à passer en faisant le gué au passage des routes et ils ont rejoint Donville.
Lors de la bataille de Carentan j’étais à la Chesnée à Méautis proche de la maison de Raoul Dujardin. Mes parents étaient agriculteurs et je vivais ainsi avec mes grands-parents et mon arrière-grand-mère. Il y a un fait qui est resté dans ma mémoire de façon très précise : j’étais à l’entrée de la maison de Raoul Dujardin qui avait été réquisitionnée et qui servait d’hôpital de fortune pour les Allemands lorsque j’ai vu des Mongols russes qui transportaient des blessés dans des charrettes recouvertes de branches pour se soustraire à l’aviation alliée. C’était horrible car il y avait des soldats qui hurlaient et qui étaient dans un état, vous ne pouvez pas imaginer ! Je voyais des pieds, des morceaux de jambes, des morts sans doute et tout ce sang qui dégoulinait sur la route ! Malgré cette vision d’horreur je pensais que la déroute commençait pour les Allemands et que la fin approchait pour eux…
Nous avons décidé de partir de la maison lorsque nous avons vu arriver des voisins qui étaient plus bas nous dire que les Allemands leur avaient demandé d’évacuer leurs habitations car une bataille se préparait. De plus à côté de la maison à l’angle où démarre une chasse…
les Allemands avaient installé une cuisine de campagne. Subitement l’un deux a sauté par-dessus la haie et m’a dit dans un très bon Français « ne restez pas là il va y avoir une grande bataille et puis avec les SS qui vont venir on ne sait jamais… »
Le lendemain matin nous avons entendu un roulement de fond extraordinaire venant de la route de Périers à Carentan. Il s’agissait d’une colonne de blindés allemands de toutes espèces recouverts de branchages pour le camouflage. Ils sont passés devant chez nous en direction de la mairie. Nous avons tous pensé que la ville de Carentan allait être prise de nouveau par les Allemands. Puis c’est une troupe de panzer SS qui est venue relever des soldats qui revenaient de la bataille de Pommenauque à Carentan. Tous ces faits nous ont décidé à partir avec d’autres civils le 13 juin au matin car la bataille de Donville à Méautis avait commencé. Des obus sont venus exploser entre notre maison et l’église de Méautis. Nous avions pris quelques affaires avec nous car nous pensions revenir rapidement. Quant je pense que nous sommes rentrés d’exode le 15 août 1944 presque deux mois plus tard !
Nous avons hésité à prendre la direction d’Auvers ce qui aurait été salutaire pour nous car il n’y a pas eu de lourds combats. Nous avons décidé de nous engager vers la croix Picard. Nous avons rencontré des civils comme nous, qui fuyaient lorsque tout à coup une salve d’obus est tombée à quelques mètres seulement de nous mais ne tuant ou blessant personne. Nous avons été pris de panique et nous sommes partis à travers les champs. Il a fallu transporter à dos d’homme ou sur une petite charrette mon arrière-grand-mère âgée de 91 ans !
Quelle fatigue et quelle panique. Il était très difficile de traverser des brèches dans les haies. Nous avons rencontré une dame qui habitait le village de Culot et dont le mari était prisonnier en Allemagne. Cette maison se trouvait proche d’un carrefour, encore un ! Nous avons dans la nuit entendu un bruit terrifiant qui était en fait une salve d’obus.
J’ai vu mon grand-père qui dormait à l’étage propulsé jusqu’en bas de l’escalier par le souffle de l’explosion. Il n’a rien eu cependant à part quelques contusions.
Nous sommes restés sur place, prostrés, à l’écoute de ce qui allait se passer. En sortant de la maison nous avons constaté que le pommier qui était à quelques mètres de la maison était coupé en deux. Nous avons donc décidé de repartir en direction de Périers…
Lorsque nous sommes revenus à notre ferme tout avait été détruit et brûlé. Nous avons tout perdu, meubles, souvenirs de famille. Je vous assure que le choc a été difficile à encaisser surtout pour mes parents ! C’est la raison pour laquelle nous n’avons plus aucune photographie d’avant guerre. Nous avons décidé de venir habiter avec toute la famille dans la boulangerie proche de la maison avec les grands-parents, l’arrière grand mère. Nous étions très à l’étroit mais nous avions le bonheur d’être encore chez nous. Le jardin qui était à côté nous a bien rendu service.
La chance que nous avons eue est de n’avoir perdu aucun membre de la famille proche car vous savez à Méautis 33 civils y ont laissé leur vie !
Témoignage suivant : Jack Lemelletier