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Madame Bernadette Robert

Domiciliée à La Lande Godard à Méautis, 8 ans en 1944

Bernadette Robert 8 ans en 1944Nous habitions pendant la guerre avec mes parents dans une ferme qui existe toujours à La Lande Godard à Méautis. Mes parents étaient agriculteurs, surtout maman car mon père était très malade. Nous étions cinq enfants à cette époque et j’étais l’avant dernière de la famille.

Je ne me souviens pas de l’arrivée des Allemands dans la commune car j’étais trop petite. J’ai le souvenir que mon papa nous avait emmené dans des fossés avec ma sœur pas loin dans les marais. J’ai le vague souvenir d’avoir vu un très grand trou de bombe à la Lande Godard. Nous étions en cheval avec papa et maman et le cheval n’a pas pu avancer devant cet énorme cratère. J’ai également vu la même chose dans un champ à Méautis qu’exploitaient mes parents au hameau Culot.

Je n’ai pas de souvenirs précis de l’occupation allemande. J’entendais souvent le nom d’une dame dont mes parents parlaient quelque fois à la maison et qui avait des relations étroites avec les Allemands. Je n’ai pas le souvenir que les Allemand aient occupé notre ferme avant 1944. De plus je ne me rendais pas compte que nous étions occupés par l’armée allemande car j’étais enfant. Je n’ai pas eu le sentiment d’avoir souffert de la faim mais je me souviens des cartes d’alimentation pour le pain ! Ma grand-mère qui habitait le hameau du Bas Bosq nous disait souvent qu’il valait mieux manger de la viande que du pain qui était trop coûteux pour nous.

Mes parents n’écoutaient pas la radio à la maison comme nous pouvons le découvrir aujourd’hui en regardant à  la télévision des émissions sur la guerre .

Mes souvenirs se précisent en 1944  lorsque les premiers parachutistes américains sont arrivés dans la commune car je me souviens qu’il y avait une effervescence à la maison. Et effectivement les parachutistes avaient atterri ce jour là. Nous regardions par les fenêtres et nous avons aperçu toutes ces toiles rouges et vertes dans les arbres. Nous pensions que c’était des draps car nous n’avions jamais vu de parachutes de notre vie. Et puis on nous a dit : «  ça y est les parachutistes sont arrivés » mais c’est vrai que nous ne comprenions pas trop !

Je me souviens également d’une chose qui a eu des conséquences importantes par la suite : mon frère aîné, qui avait 20 ans à l’époque a ramené à la maison du chocolat. Je ne sais plus si c’est un parachutiste américain qui lui a donné ou s’il l’a trouvé au sol avec du matériel. Ce chocolat nous l’avions caché sur la planche à pain dans la maison.

Je n’ai pas le souvenir d’avoir rencontré des soldats américains. D’où le fait que lorsque les adultes disaient aux Allemands qu’ils n’avaient pas rencontrés de parachutistes américains, je pensais que c’était vrai, alors que par la suite on nous a expliqué qu’ils étaient passés !

Un jour pendant la bataille de Méautis il est arrivé des Allemands qui nous ont rassemblés dans la cour de notre ferme à la Lande Godard. Nous étions 21 personnes en tout. Nous étions alignés sous le joug des fusils ou des mitraillettes. Les Allemands ont fouillé partout au rez-de-chaussée et ont tout bousculé y compris le landau de ma petite sœur de trois ans, au cas ou il y aurait eu des choses de cachées. Et puis j’entendais les adultes qui murmuraient « mon dieu le chocolat qui est sur la planche à pain, si jamais ils le découvrent, ils découvrirons que… » En fait, ils sont allés sous les fenêtres de la maison pour demander aux gens qui étaient dedans de sortir. Mon papa s’est montré à la fenêtre du premier étage, car c’était un grand malade qui restait couché sur son lit la plupart du temps. Les Allemands n’ont même pas fait de sommation, ils ont balancé des grenades qui ont traversé le plancher sans blesser papa. Il a fallu leur faire comprendre que c’était le mari qui était là. Ils ont continué à rassembler tout le monde. Nous les gamins nous avions très peur, nous avons essayé de nous échapper. Nous étions vraiment encerclés.

Et c’est ce brave Père Lecointe qui est arrivé et qui a servi d’interprète en disant aux Allemands « mais mon dieu il n’y a personne ici, laissez tomber » Et ce brave père il est arrivé en laissant son vélo qu’il a mis au pignon de la maison, je le revois toujours, avec sa soutane qu’il relevait avec ses mains dans les poches.

Pour moi c’est un souvenir qui m’a marquée à jamais car il nous a sauvé…J’avoue que depuis ce jour la mort me fait très, très peur…Puis les Allemands nous ont demandé de partir et puis après cela devient vague. Nous avons eu très peur, pour moi c’était affreux !

Nous sommes partis en direction des avenues sur la route d’Auvers où cela tirait énormément. Nous étions chez nos amis les Berthelot. Je me souviens d’avoir été cachée entre deux matelas tellement cela tirait de partout. A un moment donné nous avons vu arriver un Allemand qui est entré dans la maison avec une mitraillette et qui dit : « si quelqu’un de vous a des Angleterre,  vous tout de suite fusillés ! »  Il nous a ensuite tous fait sortir de la maison et aligner à côté d’un puit pour nous montrer une maison qui était en flammes sur la grande route, qui était celle d’une dame Berthelot qui était la maman d’une dame Hamel. Nous avons vu cette maison en flammes et cet Allemand nous a dit « et bien votre maison ce sera pareil ! »  Il est parti car il n’a rien trouvé. A chaque fois que je revois ce puit cela m’évoque la grande peur !

Nous sommes partis ensuite à la ferme de La Mare des Pierres à Méautis ou nous logions dans la boulangerie. Madame Leprine qui habitait à côté nous faisait de la soupe dont je garde en mémoire le goût…Et je pense que c’est après que nous sommes partis en camion en direction de Fontenay mais mes souvenirs sont vagues ! En arrivant à Fontenay il y avait des planches de préparées avec de la paille pour nous servir de lit. Mais une chose dont je me souviens c’est que maman avait voulu rester à Méautis pour s’occuper de ses animaux. Nous étions tous inquiets avec ma petite sœur qui était avec nous dans le landau. Je la revois en train de se redresser dans ce landau…Maman est revenue le lendemain à Fontenay. Quant elle est arrivée nous étions tous contents car nous pensions qu’elle allait mourir.

Quand nous sommes revenus à Méautis notre maison n’avait pas été détruite. Par contre tout était chamboulé et la maison avait était pillée. Je revois les cages à lapins qui étaient ouvertes et les lapins qui étaient éparpillés partout dans la cour ! Une image qui m’a marqué au moment de notre retour à la ferme est le cellier qui avait servi d’infirmerie pour soigner les blessés. J’ai vu des grands blessés mais je ne sais plus de quelle nationalité ils étaient. Nous avons vu également des soldats américains noirs qui étaient postés aux avenues sur la route d’Auvers. C’était la première fois que je voyais des soldats noirs mais nous n’en avions pas peur.

Je garde en mémoire le terrain d’aviation américain qui était juste en face de chez nous. Nous n’avions pas le droit d’y aller nous y promener.

J’ai le souvenir lors de notre retour à pieds de Fontenay des camions américains qui nous envoyaient des boites dans lesquelles se trouvaient des bonbons qui avaient un goût… c’était magnifique ! Dans certaines boites se trouvaient un espèce de fromage dont j’ai oublié le goût.

Je ne sais pas si mes parents ont touché des dommages de guerre car mes parents étaient locataires de la ferme.

Mon père est décédé en 1945 puis l’une de mes sœurs de la tuberculose ! Mais mère qui était très courageuse s’en est sortie puis s’est remariée. Personne dans nos proches n’a été tué.

Après la guerre nous trouvions des munitions un peu partout, cela était extrêmement dangereux.

Avant notre départ en exode de Méautis nous étions allez voir ma grand-mère qui habitait au Bas Bosq. Nous entendions le bruit de la bataille. Ma mère est partie à pieds voir ses bêtes en direction du bourg de Méautis. C’est à ce moment qu’elle a vu Noémie Marie qui avait été tuée avec ses deux enfants. Elle a vu aussi Léon Gosselin qui venait d’être fusillé par les Allemands et qui était resté accroupi le dos au mur. Ma mère a risqué sa vie dans cet aller-retour !

Je sais qu’il y a eu des accidents après la guerre. Même des animaux ont sauté sur des mines !

Quand je pense à la guerre cela m’évoque les larmes ! C’est affreux ! C’est affreux…Dans ma mémoire de petite fille de penser ce qui arrive aux gens dans d’autres pays qui vivent cette chose en ce moment c’est dur. J’ai l’impression d’avoir vécu, peut-être pour moi à une plus petite dimension, la même chose. Nous avons été aligné à 21 personnes sous le joug de fusils et bien qu’à cette époque nous ne savions pas ce qu’était de mourir…

Pour moi c’est affreux, la guerre je ne voudrais pas la revoir…du tout, du tout ! Quand je vois à la télévision des gens qui partent sur les routes en exil je ne peux m’empêcher de pleurer ! Vous savez mon mari a fait l’Algérie, il a été parti pendant 27 mois et il avez du mal à en parler…

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